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Critique "Le tireur occidental"


Il s’agit d’une frontière, entre un monde et un autre. A cette frontière, une arme, et dans le viseur, elle pointe tous les « inoccidentaux » qui tenteraient de passer. A côté de cette arme, un étudiant observe. Il est venu faire une étude de terrain auprès du Tireur Occidental. D’observer il se met à ressentir, puis de ressentir à faire l’expérience de vivre dans cette zone, à son rythme organique, instinctif, primaire. Rodolphe est frais ethnologue, en études encore, il analyse, applique à la situation rude de ce poste frontière, ses grilles d’appréciation. Il apprend à ressentir précisément ; la friction se fait entre théorie et monde sensible. L’étude se meut en mue. Au contact des deux individualités humaines qu’il rencontre, son jugement se déstabilise, il y a la mort tout autour de lui, et la sauvagerie d’un air vif. Le danger est partout, dans ce Désert des Tartares moderne. Le personnage du tireur est aussi laconique que le ton du narrateur Rodolphe, l’étudiant protagoniste. Le texte est fragmentaire, il emprunte à une forme de rapport quasi médical, une sorte de rapport d’expertise ethnologique, qui convient parfaitement au propos, à cette urgence humaine qui rend soldat, machine, ultra réactif et carapacé. Le dispositif scénique est dépouillé, très sombre est le plateau. Le seul acteur en scène prononce sur un ton épistolaire, synthétique. Il vide ses répliques de chaleur trop évidente, son expression se mesure à chaque mot. Les éclairages teintent les ambiances, et proposent une perspective de sensation, un prisme, comme des jalons dans la pensée, qui appuient encore le caractère fragmentaire du spectacle. L’usage d’un vidéoprojecteur pour indiquer, sous forme de cartons, les cadres, les contextes du propos appuie encore la sobriété et l’aspect laconique de ce spectacle. L’interprétation est dosée, en maîtrise, sert un texte d’expression singulière et permet à l’imaginaire de se représenter, sans lui prescrire de forme, un sujet pourtant extrêmement précis. Ce cadre devient très fort. L’acteur entraîne, et la sobriété du plateau permet la convergence de l’attention vers la bouche qui profère. On entend presque le bruit des rouages du train, et la mine du crayon rédigeant les rapports et la correspondance du personnage. On entend le souffle rauque du tireur et on sent l’air vif du poste frontière aux narines et sur peau. La proximité à l’acteur, et la confidence mesurée qui nous ai faite souligne la gravité du sujet, dans ce qu’il a de conséquent : dans la presque analyse humaine qui est faite. Car on approche ici une théorie de la sauvagerie : la défense primaire d’un territoire, par une arme, et tout ce qui advient lorsque deux hommes, aux confins des terres, forcent l’altérité l’un contre l’autre. Ce spectacle fuse et maintient, il est un savant dosage de mise en valeur du propos dramatique de William Pellier, il soutient sa forme singulière, son expression théâtrale est dépouillée mais soutenue, dans une tension calme de qualité.

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