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La Fête : Steven Fafournoux, gourmand de maux


Paradoxal système

Il fait partie des gens qui tout en douceur, sans la moindre provocation, sont capables d’ébranler d’un coup les certitudes. Jeune acteur lyonnais de 31 ans formé au Conservatoire de Lyon, Steven Fafournoux n’est pas du genre à participer au misérabilisme culturel ambiant : « C’est bien de travailler dans une période où il y a moins d’argent », dit-il posément. « L’argent rend fainéant ! C’est terrible les baisses de subventions, mais rebondissons, ça ne sert à rien de s’apitoyer. » Lui vient de monter La Fête au théâtre des Marronniers pour… 500 €, qui dit mieux ?


Hors compétition Il s’est formé de 2006 à 2010 au Conservatoire, une école pratique et théorique dont il ne garde que des bons souvenirs, et surtout celui de Gilbert Caillat qui fit venir à Lyon ceux que le théâtre compte d’importants, comme Olivier Py. « C’était très agréable, on se formait, mais on restait libre. Il encourageait toujours notre singularité. » Il ratera tous les concours pour les écoles supérieures sans exception, de l’Ensatt au TNS à Strasbourg. « Au final, c’était plutôt une bonne chose, j’aurais perdu mon temps. » Une lecture de Simon Delétang le met en selle en sortant de l’école, et après un an à travailler dix huit heures par jour en intérim pour des mises en rayon la nuit, il finit par gagner son Graal : le statut d’intermittent.


Fini The Voice, vive NRJ 12 ! Depuis, il n’en fait qu’à sa tête, montant la plupart du temps des comédies barrées, voire grinçantes. « Les silences et les sous-entendus sont toujours plus intéressants au théâtre, ils permettent une foule d’interprétations. J’aime bien regarder Strip-Tease ou Tellement vrai sur NRJ 12, je dois avoir un goût pour la misère humaine, ces choses ordinaires dont on n’imagine pas qu’elles soient possibles alors qu’elles nous sont communes », s’amuse-t-il. Mais sans cynisme, toujours en empathie. « Je ne veux pas plomber les gens. Quand on va au théâtre le samedi soir, on n’a pas forcément envie de se dire qu’on aurait mieux fait de rester chez soi à regarder The Voice ! » s’esclaffe-t-il. C’est toute la beauté de son théâtre : aller chercher le glauque en faisant en sorte de rester en prise directe avec les spectateurs. Cette fois, vous avez une bonne raison de rater The Voice samedi prochain.


Finie la comédie 1h10 de musiques en continu à travers un transistor, de « Je te survivrai » de Jean-Pierre François à « Besoin de rien envie de toi »… La solitude, dans La Fête, titre ironique pour fêter le mariage d’un couple déjà bien azimuté, vous allez la sentir passer, mais toujours en chansons. La bande son nostalgique accentue évidemment la solitude et les rapports malsains de cette mère de famille qui ne quitte jamais chez elle, entretenant des rapports chelous avec son fils qui a pris la place du père ramenant l’argent à la maison, tandis que le père démissionnaire se laisse mener vers la sortie. Les dialogues sont ceux d’une famille qui n’a plus rien à se dire que « Donne moi le poivre » et autres banalités pour entretenir des rapports de force avec les objets dérisoires du quotidien quand les liens se sont totalement délités. Ça pourrait être glauquissime. Ça l’est. Mais c’est aussi un petit bijou de burlesque grinçant, porté par une Emilie Canonge bouleversante, au carrefour exact entre l’hystérie et la tentative de suicide, occupant la scène avec des petits pas multipliés comme pour combler le vide. Ce trio d’une famille italienne au-delà de la névrose ne se regarde pratiquement jamais, jusqu’à une descente de boule à facettes qui vous rappellera que la solitude se ressent encore plus les soirs de fête. Le tout dans une mécanique comique redoutable qui ne fait que renforcer le malaise, quelque part entre Jacques Tati et Christoph Marthaler. Du beau travail, grinçant en diable.


La Fête de Spiro Scimone.

Mise en scène Steven Fafournoux et Valérie Zipper, avec Emilie Canonge, Loïc Rescanière et Steven Fafournoux.

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